Breaking news : le monde d’après est annulé. D’abord parce que personnellement, j’éprouve des difficultés croissantes à me projeter au-delà de la fin de ma journée (aussi le mot “après” me semble terriblement étrange). Mais aussi parce qu'il semblerait qu’un certain nombre d’individus lui préfèrent le monde “d’à côté”, vers lequel il semble plus facile d’émigrer. Ce monde parallèle, c’est celui du :
METAVERSE
Le concept n’est pas nouveau. Il est né en 1992 sous la plume de l'auteur Neal Stephenson, devenu aujourd'hui "chief futurist" de la start-up de réalité augmentée Magic Leap. Au sein de son roman SF "Snow Crash", Stephenson décrit un espace numérique collectif, accessible via des lunettes connectées (lien), un peu à la ready player one (enfin j'imagine, car je ne l'ai pas encore lu : pour l'instant je l'ai ajouté à ma liste quand j'ai appris qu'on y parlait d'archeolinguistics 🤯)
Fast forward 2021, nous y voilà : Wired titre "the metaverse is coming" (lien). Comment lui donner tort, quand on sait que les 3 sites internet les plus fréquentés comptent 152 milliards de visites chaque mois (lien) ?
Comment nier l'avènement du metaverse quand on sait que l'industrie du jeu vidéo devrait atteindre les 198 milliards de dollars d'ici 2024 (lien), sans même compter les ventes de consoles et autres devices connectés ? Ou encore quand on voit qu'il est désormais possible de développer des lignes de vêtements (lien) ou de maquillage 100% en ligne ?
“The virtual world is creating its own economy. Virtual items have value because of their own scarcity, and because they can be sold and shared.” Robert Triefus, CMO, Gucci
Aujourd'hui, cette colonisation du "monde d'à côté" me semble si naturelle que j'ai eu envie de m'attarder sur les rebelles qui ont choisi de questionner, souvent de manière humoristique ou artistique, cette évidence.
CAPITALISME SEMANTIQUE
En 2002, l'artiste Christophe Bruno décide d'utiliser les annonces payantes Google pour diffuser des mini-poèmes, qui s'afficheront lorsque les internautes tapent certains mots, comme "symptômes", "rêve", "mort", "capitalisme" (lien)
Si plusieurs dizaines de milliers d'individus sont exposés chaque jour à ces poèmes, très peu cliquent sur ces annonces car elles sont, bien sûr, totalement inappropriées. Face à un tel taux d'échec, Google lui propose d'optimiser ses publicités pour apporter une réponse plus à-propos aux internautes. Christophe Bruno s'inscrivant dans une démarche artistique ne visant pas à être pertinente mais réflexive, il refuse. C'est alors que ses annonces cessent d'être diffusées. Qu'à cela ne tienne, cette expérience aura au moins permis à l'artiste de développer le concept de "capitalisme sémantique", les mots ayant désormais, selon lui, un prix.
"Ce passage d’une version libertaire de l’Internet à ce stade ultime de la marchandisation où nos constituants ultimes, les mots, sont mis à prix sur un marché du langage, est quelque chose qui deviendra un nœud essentiel de ma réflexion."
Travaillant chez Google moi-même (mais je précise que les opinions partagées ici sont les miennes, et non celles de mon entreprise), j'apprécie nos efforts pour construire des produits toujours plus pertinents, et je comprends les raisons pour lesquelles cet artiste n'a pas pu aller au bout de son initiative. Après tout, si je me rends sur un moteur de recherche, c'est bien pour obtenir une réponse à ma question, et non pour être exposée aux potentiels traits d'humour des un·e·s ou des autres (surtout sur des sujets aussi anxiogènes que symptômes ou mort !). Néanmoins, je trouve le questionnement de Christophe Bruno vraiment intéressant, car il nous montre que si l'algorithme s'autorisait à faillir quelque fois, il en ressortirait peut-être plus de surprise et de poésie ?
(Merci @Aliciabve et Damien R. pour la découverte de cet artiste fascinant !)
EMPREINTE DIGITALE
J'ai découvert Aram Bartholl lors des rencontres de la photo d'Arles en 2011. A l'époque, il créait des "pins" Google Maps géants qu'il intégrait au monde physique ; une façon de construire un pont entre deux dimensions qui se superposent, la carte (virtuelle) et le territoire.
Depuis, Aram B. continue d'interroger les imbrications qui unissent le digital à nos vies. En 2017, il crée "Wanna Cry" (lien) en réaction à un projet de loi du gouvernement allemand visant à permettre l'identification des demandeurs d'asile via leur activité sur les réseaux sociaux (lien). Au-delà de l'aspect discutable de l'ambition de faire d'un smartphone un passeport (quid de ceux qui n'en possèdent pas ? Quelles sont les photos Facebook qui préfigurent un bon citoyen ?...), ce projet de loi est troublant, car il confère à notre double digital une supériorité sur nous, humain·e·s, dans la capacité à prouver la réalité de son existence.
CAPITAL SOCIAL
Avec son oeuvre "100 000 followers for everyone", Constant Dullaart investigue dès 2014 ce que la philanthropie est probablement appelée à devenir dans une "économie de l'attention" (lien). L'oeuvre consiste en une exposition des différents profils achetés ("Thousands of real looking profiles, who’s attention is for sale on Ebay and shady websites. You buy, the army clicks and likes…..you! Images of stranger’s weddings, other people’s picnics shape them to look like actual persons."). L'ensemble des faux profils ont été mis à disposition d'institutions artistiques afin qu'elles puissent enfin émerger dans un univers où le talent ne suffit pas toujours :
"Can you always ignore the numerical hierarchy mentioned next to a persons name? What place is there for utopian visions of equality in a world where looks, shallow sexist content, public relations and amount of brand consistent content shapes culture? A place where artists are introduced with their follower count next to their biography? We can be equalized, and start over. A reset of social capital, socialism of the social is possible."
Enfin, avant de vous quitter et de vous donner RDV dans le metaverse, je vous mets ci-dessous les quelques terminologies explorés sur le site ou l’instagram de Palabre (#InCaseYouMissedIt !)
Sur Instagram, petit vortex cérébral autour de l’idée de vérité, de complot, de réalité 🤯
Agnotologie (lien)
The unreal (lien)
Apophénie (lien)
Et sur le site, quelques réflexions autour des “cartes thérapeutiques”, et celles notamment qui nous aident à être plus créatifs (#brainsto #designthinking #tarot)
A bientôt dans le metaverse !